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pas tout à fait papa
16 janvier 2016

Superpositions

Voilà maintenant un peu plus de trois semaines que notre fils est né. Les nuits sont difficiles, la fatigue s'accumule, mais on sait malheureusement trop bien qu'on n'a pas le droit de se plaindre. Ces nuits soit trop courtes, soit quasiment inexistantes, on aurait tant eu besoin de les vivre pour nos seconde et troisième filles... On a certes eu des nuits sans sommeil, de la fatigue, mais ce n'était pas lié à des pleurs de bébés, c'était juste lié à leur absence... On assume donc ces nuits difficiles, même si on "joue" avec nos limites, et que, moralement, c'est parfois bien compliqué. Mais on y arrivera, parce que notre fils est là, et que ces nuits sans repos ont une raison d'être.

Nous craignions que l'attachement à cet enfant ne soit pas évident. Il l'est pourtant, même si de nombreux comportements sont "automatisés", et que ses pleurs ne nous tordent pas les trippes comme c'était le cas pour les pleurs de notre aînée. Soit parce que l'appréhension du premier enfant a disparue, soit parce que dans une certaines mesure, ces pleurs nous rassurent et nous rappellent que si notre enfant pleure, c'est qu'il est bien là, avec nous, bien vivant. Peut-être que c'est un peu des deux. Mais l'attachement est là, et nous lui pardonnons nos heures de sommeil perdues sans même y penser.

Lors de ses premiers jours, je me suis fait la remarque de son absence de ressemblance à ses soeurs, et notamment à sa soeur aînée. Et puis, petit à petit, certaines photos dans des contextes similaires à ceux de photos de notre aînée nous ont marquées. Nous avons ressortis les photos d'il y a 4 ans, et nous avons été abasourdis devant la ressemblance entre eux. A ce stade, ce n'est même plus de la ressemblance. Sans la qualité des photos, moindre il y a 4 ans, sans les vêtements, nous serions presque incapable de distinguer notre aînée de notre fils. C'est vraiment impressionnant. Je me suis même amusé à faire quelques montages avec des photos similaires côte à côte. Nous pourrions les superposer, tellement la ressemblance est forte.

Et puis, il y a d'autres superpositions, qui n'ont pas besoin qu'on ressorte d'anciennes photos. Il y a ces moments où, le posant nu sur la table à langer avant le bain, le voyant endormi, sans un mouvement, les bras détendus le long de son corps, les jambes positionnées comme on les a posées, les images de notre seconde fille se superposent à lui. Il y a ces moments où, endormi dans son parc, dans un coin un peu plus sombre de la pièce, son teint paraît beaucoup plus foncé, se rapprochant de celui de notre troisième fille décédée plus tôt dans la grossesse ; et, de loin, en voyant son profil apaisé dépasser de la turbulette et de sa petite couverture, je me surprend à voir ma troisième fille. Ces superpositions n'ont pas le même effet. Elles sont comme un électrochoc. Elles font resurgir notre détresse, notre douleur, et toute l'angoisse que nous avons vécue au cours de cette grossesse. 

Il n'y a rien de malsain, quand on y pense, à comparer notre fils avec chacune de ses 3 soeurs. Du moins, car on ne voit pas nos enfants décédées vivre à travers notre fils. Il n'y a pas du tout d'idée de remplacement dans ces superpositions. C'est plutôt l'inverse, même, qui se produit. Parce que, si nous ne voyons pas nos enfants décédées vivre à travers notre fils, nous voyons, l'espace d'une demi seconde, lorsque les images de nos seconde et troisième fille surgissent et se superposent à la vision de notre fils, l'absence de vie qui aurait pu, cette fois encore, gagner notre enfant. Alors, notre coeur accélère, notre respiration s'arrête, notre regard se fixe sur son thorax, sur ses lèvres, sur ses narines, et nous restons là, attendant le moindre petit mouvement. Et, quand il est trop bien couvert pour qu'on puisse détecter un mouvement, notre main se pose sur lui, sur son visage, sur une de ses mains, et, dans son sommeil, il fronce les sourcils, ou il serre ses doigts sur notre main. Alors, et seulement alors, le coeur battant encore un peu vite, nous retournons à nos activités interrompues...

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pas tout à fait papa
  • Je suis un papa qui souhaite, dans l'anonymat, parler du deuil de mes deux enfants nés sans vie. Si vous voulez partager certains de mes articles ou l'adresse du blog, je vous demande de me prévenir et d'attendre mon accord, afin de préserver cet anonymat
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