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pas tout à fait papa
16 mai 2014

Bonne nouvelle...

Avant la perte de mon enfant, quand des proches m'annonçaient qu'ils attendaient un bébé, j'ai toujours été sincèrement content et enthousiaste. Comme un peu tout le monde. C'est d'ailleurs presque devenu une obligation morale. Même si on ne connait pas forcément bien la personne en face de nous. "Oh, vous attendez un enfant ? Toutes mes félicitations, c'est merveilleux." A la limite, si on s'abstient de ces petits mots, on parait anomal, sans coeur, égoiste. Parce qu'attendre un enfant est une bonne nouvelle, et il faut s'en réjouir. 

Ben pas toujours. Pas pour tout le monde.

Depuis le décès de ma fille in utéro à 4 semaines du terme, après ce que mon épouse et moi avons traversé et traversons encore, on n'arrive plus à considérer l'attente d'un enfant comme une bonne nouvelle.

Des annonces de naissances futures, on en a entendu un paquet depuis... Et chaque fois, on ressent un pincement au coeur, une peine au plus profond de nous ; et quand on en parle entre nous, ma femme et moi, on se rend compte qu'on n'arrive plus à se réjouir.

C'est moche, c'est presque inhumain, et c'est contraire à toute l'éducation et la bonne morale qu'on nous a inculquées. 

J'ai essayé de comprendre un peu plus ce que je ressentais, ce qui m'attriste autant d'apprendre la grossesse de proches et même d'inconnus.

D'abord, on pourrait évoquer comme une perte d'insouciance. C'est ce que je me disais au début. Se réjouir, c'est ignorer les complications qui peuvent survenir, l'atroce deuil qu'on devra porter si le bébé décède in utéro ou même lors de ses premières semaines de vie. C'est presque de la naïveté, et cette naïveté que j'aimerais tant retrouver, je l'ai perdue à jamais. En plus du deuil de ma fille, je dois faire le deuil de cette naïveté. Je dois appréhender, m'attendre au pire car le pire est arrivé à ma fille. Ce n'est pas une annonce de vie, c'est une annonce de mort possible. Et on ne se réjouis pas de la mort. Cette explication est honorable, elle part presque d'un bon sentiment : je ne suis pas heureux d'apprendre cette bonne nouvelle, je suis inquiét, j'ai peur que mes proches, ou que ces inconnus, aient à vivre ce que nous avons vécu. Et c'est en partie vrai, je ne souhaite à personne ce que nous avons connu et connaissons encore.

Mais il n'y a pas que ça. Il y a autre chose, plus profond, plus refoulé. Une pensée un peu malsaine, difficile à admettre.

Il y a de la vexation, de la jalousie, de la rancoeur.

Comment des gens, et d'autant plus des proches, peuvent oser se projeter dans la vie et entreprendre de fonder une famille alors que nous-même avons à porter sur le coeur le décès d'un enfant ? Comment peuvent-ils croire en la vie après ce qu'il nous est arrivé ? Ne pensent-ils pas à nous, n'auraient-ils pas pu attendre un peu, nous laisser avancer un peu, nous accorder un peu de temps ?

Ce qu'il aurait dû se passer, nous, on le sait. On aurait dû avoir notre enfant à nous, et seulement après, eux, ils auraient dû attendre le leur. Notre famille à nous aurait dû s'agrandir avant la leur. Ce n'est pas seulement le deuil de notre enfant que nous portons, c'est le deuil de notre famille. Le deuil des instants de complicité entre nos deux filles, le deuil de leurs chamailleries aussi, le deuil de ses premières dents, de ses premiers pas, de son premier repas, de ses premiers mots... Alors, quand un proche ou même un inconnu nous dit "oh, mon bébé a fait ses premiers pas hier", quand il est content parce que "à 6 mois, il a déjà 4 dents", quand "ça fait du bien, il fait enfin ses nuits", ça nous rappelle ce qu'on n'a pas vécu et ce qu'on ne vivra jamais avec notre deuxième fille, et là, à ce moment précis, oui, je l'avoue, je suis jaloux. J'aurais dû vivre ces instants avec ma fille, et je n'ai qu'une envie : que personne ne puisse les vivre. Je le resens comme un manque de respect, et je déteste le fait que les autres se permettent de vivre tout ça, alors que ma femme et moi, on est restés loin derrière, sans pouvoir connaitre ces moments de joie. 

Alors, on se raisonne un peu. On sait que nos proches ne connaissent pas notre deuil. Le deuil d'une nièce, ou de la fille d'un ami, c'est moins difficile à porter que le deuil de son propre enfant. Et puis eux, ils peuvent toujours se dire "ça n'arrive qu'aux autres". Les inconnus n'ont d'ailleurs même aucune idée de ce que nous vivons. 

Le monde ne peut pas s'arrêter de tourner, la vie ne peut pas se mettre en pause, elle ne peut pas nous laisser le temps de nous reconstruire. D'ailleurs, combien de temps ? Est ce que nous nous reconstruirons un jour ? N'allons-nous pas plutot vivre avec ce deuil toute notre vie ? Certes, on continuera à avancer, on aura peut être un troisème enfant, mais il nous manquera toujours notre seconde fille. On le sait bien, tout ça. On sait que la vie continue. On sait qu'il faut aller de l'avant. On le sait, mais le veut-on ? Le peut-on ? 

La vérité, c'est qu'on souhaiterait que tout le monde puisse ne serait-ce qu'appercevoir la peine que nous vivons, pour qu'ils puissent comprendre cette sensation de coeur serré, de blessure qui s'ouvre un peu plus chaque fois qu'on apprend que tel ou tel couple attend un enfant. 

Et tout ça, tous ces sentiments destructeurs, toute cette jalousie, on doit la garder pour nous. On ne peut pas, en apprenant la future naissance d'un enfant, répondre "j'aurais dû avoir mon propre enfant avant que vous ayez le votre, du coup je  vous en veux un peu ; et puis vous savez, ne vous réjouissez pas trop, vous le perdrez peut-être, cet enfant, et ça sera le pire que vous puissiez vivre. Apprendre la future naissance de votre enfant nous ramène à la perte du notre, ça nous fait beaucoup de peine. Mais on vous souhaite sincèrement le meilleur". Tout ça, on ne peut pas le dire. Alors, on dit sans parvenir à sourire "c'est une bonne nouvelle, félicitations"...

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pas tout à fait papa
  • Je suis un papa qui souhaite, dans l'anonymat, parler du deuil de mes deux enfants nés sans vie. Si vous voulez partager certains de mes articles ou l'adresse du blog, je vous demande de me prévenir et d'attendre mon accord, afin de préserver cet anonymat
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