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pas tout à fait papa

29 avril 2017

Pourquoi je cours ?

J’ai 34 ans. Je suis marié, j’ai 4 enfants. "Numéro 1", née en 2011, qui va avoir 6 ans ; "Numéro 2", née sans vie sans cause véritablement identifiée en 2013 ; "Numéro 3", née sans vie avec un circulaire de cordon en 2014 ; "Numéro 4", né fin 2015, qui a 16 mois. En automne 2015, j’ai fait connaissance sur internet avec un papa d’une petite fille née sans vie, qui prenait le départ du semi-marathon de Lyon, symboliquement, pour sa fille et pour les enfants nés sans vie. J’ai été admiratif. Je n’étais pas sportif du tout, mais j’ai découvert qu’on pouvait « faire quelque chose » de concret pour nos enfants nés sans vie. Et j’ai eu envie d’essayer de faire la même chose. Je me suis mis à courir. J’ai acheté une paire de baskets, des vêtements de sport, et je suis allé courir une ou deux fois par semaine. Puis deux ou trois fois par semaine. Commencer à faire du sport à 32 ans ne se fait pas aussi facilement que ça. J'ai eu des douleurs aux chevilles et aux genoux. J’ai vu mon médecin, qui m’a envoyé vers un podologue pour essayer de corriger mes problèmes de pieds et de chevilles. Je me suis rendu compte que mes baskets n’étaient pas adaptées, et je suis allé dans un magasin spécialisé pour m’équiper correctement. Je me suis fait faire des semelles orthopédiques. J'ai persévéré, même si ça semblait perdu d'avance. Et petit à petit, l’objectif du semi-marathon de Lyon 2016 qui était a priori inabordable est devenu envisageable. Je m’entrainais de plus en plus, principalement pour "Numéro 2" et "Numéro 3". Quelques jours avant le départ du semi de Lyon, je me suis fait un T-shirt à l’effigie de mes filles nées sans vie. Je me suis aussi fabriqué deux bracelets, l’un de couleur rose portant le prénom de "Numéro 2"; l’autre de couleur bleue portant celui de "Numéro 3". Rose et bleu, comme les rubans du logo du deuil périnatal. Je courais pour mes filles, et pour les enfants nés sans vie. Et en octobre 2016, j’ai franchi la ligne d’arrivée du semi-marathon de Lyon. J’ai réalisé mon défi. Après tout défi réalisé, il y a la question « et maintenant ? ». Je me la suis posée. J’ai poursuivi mes entrainements, en sachant qu’il y aurait quelque chose derrière, mais sans savoir encore précisément encore quoi. Au-delà du semi-marathon, il y a le marathon. Cet objectif semblait tout à fait irréalisable. Tout autant que le semi-marathon semblait l’être plusieurs mois auparavant. Alors, je me suis préparé. Au-delà de mes propres filles nées sans vie, il y a tous les autres enfants qui sont décédés avant d’avoir vu le jour. Il y a leurs parents. Il y a aussi tous les enfants qui sont nés en vie, mais qui sont décédés en laissant leurs parents dans le deuil. J’ai donc contacté Voiles des Anges, que je suivais presque depuis ses débuts, et particulièrement depuis le commencement de l’aventure extraordinaire de Conrad Colman sur le Vendée Globe. Et j’ai souhaité porter les couleurs de cette association dans mon hypothétique futur marathon. Je me suis inscrit à un marathon, dont l’organisation a finalement été annulée. Je me suis ensuite inscrit au marathon de la route du Louvre, reliant Lille à Lens, organisé le 8 mai 2017. Dans quelques jours, je prendrai le départ de cette course, avec dans le dos le souffle des anges. Au-delà du symbole que ces courses représentent pour moi et pour mes filles nées sans vie, il y a celui de la reconnaissance du deuil d’un enfant, il y a le manque de soutien éprouvé par tous ces parents, il y a l’impression de ne plus pouvoir rien faire de concret pour son enfant décédé. Il y a tout ça. Courir, ce n’est plus juste enfiler une paire de basket. Courir, c’est faire vivre les enfants décédés, c’est parcourir pour eux les kilomètres qu’ils ne peuvent plus parcourir eux-même, c’est montrer aux parents endeuillés qu’ils ne sont pas tout seuls, et qu’à plusieurs, on avance mieux que tout seul. Je cours pour moi, pour mes filles, pour les anges, pour les par’anges. Pour nos enfants.
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27 août 2016

Je vous parlerai d'elles

Autant vous prévenir tout de suite.

 

Je vous parlerai de mes enfants. De chacun d'eux, sans distinction, sans réserve, sans pudeur.

 

Quand vous évoquerez les naissances de vos enfants, ceux-là même qui jouent et courent autour de vous, il est possible que j'évoque les naissances des miens, dont deux ne joueront et ne courront jamais autour de moi.

Quand vous évoquerez la différence d'âge entre vos enfants, il est possible que j'évoque la différence d'âge qu'il aurait dû y avoir entre mes enfants.

Quand vous évoquerez les cauchemars de vos enfants, il est possible que je parle des terreurs nocturnes de mon aînée, de nos visites chez la psy pour savoir si elles pouvaient être liées aux décès de ses deux petites soeurs.

Quand vous évoquerez les motivations qui vous poussent à faire du sport, il est aussi possible que je vous explique que les miennes sont directement liées à l'absence de deux de mes filles, un peu comme si je voulais compenser la distance qu'elles ne courront jamais, en les courant moi-même.

Quand vous prendrez pour repère dans le temps la naissance d'un de vos enfants, je ferai probablement pareil, que ça soit par rapport à n'importe lequel de mes enfants. 

Et à tant d'autres sujets encore, il est tout à fait possible qu'à un moment de notre conversation, je parle de mes enfants nées sans vie.

 

Sans exagérer, sans vouloir trop en faire, sans attendre de pitié, sans chercher à vous arracher une quelconque émotion.

 

Alors, peut-être, vous baisserez les yeux l'espace d'un instant. Vous changerez peut-être de sujet, plus ou moins subtilement. Vous serez éventuellement mal à l'aise. Vous ne saurez probablement pas quoi répondre. L'évocation de l'une de mes filles nées sans vie jettera parfois un froid dans la conversation. Il pourra en suivre un silence gêné de votre part. 

 

Vous vous demanderez peut-être pourquoi j'ai prononcé le prénom de l'une de mes enfants décédées.

 

Voilà la réponse. C'est parce qu'elles n'existent pas moins que mes deux autres enfants qui jouent, courent, crient, et rient bruyamment pendant que je vous parle. C'est parce qu'elles ne sont pas moins importantes que mon aînée et que mon petit dernier. C'est parce qu'elles ne me font pas honte. C'est parce que, quoi qu'on puisse dire ou penser, elles font partie de mon histoire, de ma famille. C'est parce que je n'ai pas moins de raison de parler de mes enfants morts, que de mes enfants vivants. C'est parce que pour continuer à vivre, il faut accepter leurs absences, et que ne pas parler d'elles, c'est ignorer qu'elles ne sont pas là. Et il faut bien continuer à vivre.

Alors, sans retenue et sans tristesse, en toute simplicité, je vous parlerai d'elles. 

11 juillet 2016

Les mois passent

Depuis la naissance de notre fils, déjà plus de 6 mois sont passés. Tellement vite, et tellement lentement. 

Je n'avais pas grand chose à raconter à propos du deuil périnatal. Il y a bien eu ces quelques phrases de notre aînée, un matin, en allant à l'école, qui évoquait la présence de ses deux petites soeurs dans ses rêves, avec lesquelles elle faisait des galipettes. Elle avait ajouté qu'il faudrait qu'on parle d'elles à son petit frère, parce qu'on les aimait et que c'était important. J'avais commencé un post à ce sujet, mais finalement, à part retranscrire tout simplement ses paroles, que pourrais-je bien faire de plus, de mieux ?

Et puis le temps passe. Notre nourrisson a grandit, c'est toujours un bébé, mais il est plus grand maintenant. Et s'il nous prend toujours beaucoup de temps, s'il rempli tellement nos journées que nous avons moins le temps de prendre du recul vis à vis de nos deux enfants nées sans vie, nous avons l'impression d'apercevoir par moment de vagues idées se dessiner derrière la brume. 

Nous avons passé un cap, c'est certain, avec la naissance de notre fils. D'abord, parce que nous avons "complété" notre famille, parce que nous savons que nous n'aurons pas d'autres enfants. Ensuite, parce que sa naissance nous a permis de ne pas rester sur le décès de nos deux filles précédentes, elle nous a permis d'avancer réellement, sans nous contenter de faire des projets sur un espoir d'enfant que nous aurions pu ne jamais avoir à la maison. Elle nous a permis aussi de sortir de l'angoisse, celle d'enfin trouver le courage de concevoir à nouveau, ainsi que celle de l'attente de la naissance en étant conscient de tous les risques que nous avions de perdre cet enfant. Enfin, parce qu'elle a apporté un bébé à la maison, répondant aux envies et aux besoins de notre aînées, mais aussi des nôtres.

Alors, forcément, même si c'est un peu difficile de l'avouer, nos deux filles nées sans vie étaient d'une certaine manière moins absentes. C'est peut-être pour ça que nous avons enfin affiché leurs portraits dessinés dans la cuisine, aux côté des photos de nos enfants nés en vie. C'est peut-être aussi pour ça que je continue à aller courir, malgré la fatigue et les chaleurs pourtant fortes de ces derniers jours. Un peu comme si nous nous en voulions de moins souffrir, et que nous avions besoin de concrétiser leur absence.

Mais les choses changent. Notre fils grandit, il devient petit à petit moins un bébé, et l'absence des bébés qu'auraient été nos deux filles nées sans vie se fait à nouveau ressentir. Peut-être que la cinétique de notre fils, sa vigueur, son énergie, le fait qu'il grandisse si vite, nous rappellent un peu que les histoires de nos deux filles décédées sont non-évolutives, statiques, terminées. 

Nous aurons probablement toujours le manque des bébés qu'elles auraient été, qu'elles auraient dû être. Notre fils ne les remplace pas, nous en avions déjà conscience avant même de le concevoir, il ne les remplacera jamais, et nous voulons infiniment que ça se passe ainsi ; mais nous avions l'impression, à tord, qu'il nous permettait de moins souffrir de l'absence de ses grandes soeurs. Nous n'attendions pas cela, et nous le constatons un peu a posteriori. Mais ce n'est que transitoire. Il deviendra un enfant, il marchera, il ira à l'école, il grandira, et derrière lui, toujours, restera le manque de bébé que ses deux grandes soeurs décédées ne seront jamais.

Et c'est probablement mieux ainsi...

13 mai 2016

Je ne cours pas, je vole...

La fin de l'hiver ne se fait plus très loin. L'air est frais, à cette heure matinale, mais pas trop. Humide, par contre. Il ne devrait pas pleuvoir, mais le ciel reste menaçant. Pour une fin de mois de février, la météo est plutôt clémente.

Je suis arrivé un peu tôt, je ne savais pas du tout la marge de temps à prévoir. Du coup, il n'y a pas grand monde. Je m'avance dans la salle, et j'informe les organisateurs de mon arrivée. Ils me tendent un dossard, que je garde à la main pour l'instant. Je discute un peu, puis je me met un peu en retrait pour patienter. Je parcours les prospectus annonçant d'autres évènements semblables dans les semaines ou les mois à venir. J'en garde un exemplaire de chaque. Si j'en ai la possibilité, j'essaierai de m'y rendre. En arrivant un peu plus tard qu'aujourd'hui...

Le temps passe doucement, les participants arrivent au fur et à mesure. L'heure du départ approche. Je ressens un peu d'appréhension. Pas par rapport à la performance qui m'attend. Courir une dizaine de kilomètres, c'est quelque chose que je sais faire assez facilement. En plus, je suis venu repérer le parcours au début du mois, je sais où sont les difficultés et comment les anticiper. J'espère faire un bon chronomètre, mais ce n'est pas une fin en soit. Ce n'est pas là l'important. Je ressens de l'appréhension, parce que c'est la première fois que je vais ouvertement faire ce pour quoi je m'entraîne depuis quelques mois. Ça me sert un peu la gorge. Et ce n'est ni le froid, ni l'humidité.

Certains participants s'échauffent. Je jette un coup d'oeil à ma montre. Un peu moins d'une demi-heure à patienter. Je me dirige vers ma voiture. Je retire mon blouson, je serre un peu plus mes chaussures, je jette un coup d'oeil au t-shirt blanc posé sur le siège passager. C'est pour ça que je suis là, ce matin. Il faut bien le mettre à un moment ou à un autre, alors je me décide. Je l'enfile par dessus mon pull. Je l'ajuste un peu. Il ne fait décidément pas bien chaud. Je retourne, doucement, vers le point de départ. Je m'appuie contre un mur, un peu mal à l'aise à l'idée que les autres participants puissent lire les inscriptions au dos de mon t-shirt. C'est assez intime, et je suis de nature assez timide. Je discute avec quelques participants, ça me change un peu les idées. Et puis, vu qu'ils sont face à moi, ils ne peuvent pas voir mon dos, et ça a un côté rassurant. De toute façon, je suis toujours appuyé contre le mur.

La sono annonce soudain l'heure proche du départ, et nous invite à nous approcher de la ligne. Je me décolle de mon mur, et je me retrouve rapidement au milieu des autres coureurs, à attendre le signal. Je sautille un peu, je plie et déplie mes jambes. Peut-être davantage pour me donner une contenance qu'autre chose, vu que c'est une préparation que je ne fais pas d'habitude avant mes entraînements.

Un coup de feu retentit.

La foule se met en mouvement. Je m'étais placé un peu au milieu, et je n'arrive pas à prendre mon rythme. Je suis trop gêné, trop freiné par la présence des autres coureurs. Puis le groupe s'étend un peu, les coudes se desserrent, et j'arrive à mieux progresser. Je me fais doubler par les plus rapides, et je double les plus lents. J'allonge mes foulées, je trouve mes sensations habituelles, et je me matérialise, dans la tête, les dix kilomètres à venir.

Je passe devant d'autres coureurs. Regardent-ils les inscriptions au dos de mon t-shirt ? Je n'en sais rien, mais l'émotion me gagne. Mes yeux s'humidifient. Quelques larmes glissent le long de mes joues. C'est pour ça que je cours aujourd'hui. Pour elles. Et pour les autres, aussi, particulièrement ceux de quelques connaissances.

D'une certaine manière, ce n'est plus moi qui cours. Ce sont mes deux filles nées sans vie.

Ceux qui sont derrière moi peuvent lire, autour de deux rubans rose et bleu formant une boucle,

Je ne cours pas, je vole

porté par le souvenir de L******* et E*****

20 avril 2016

Histoire ordinaire d'un parent endeuillé

Des mots maladroits, des inattentions, des manques de compréhension, tout parent qui a perdu un bébé en aurait des dizaines, voire des centaines, à raconter. 

Voici une petite histoire de plus...

J'avais un ami. Pas juste une connaissance, pas juste un camarade de lycée. Un vrai ami, avec les confidences, les soutiens, tout. On s'est rencontré dans les couloirs du lycée, lui étant dans le niveau inférieur. On en a passé, des heures, à discuter, à refaire le monde... Des discussions futiles aux débats philosophiques, des sorties ciné aux "remontage de moral"... Pendant deux années communes dans les murs du lycée et sur les sièges de bus lors de nos retours à la maison - vu qu'on habitait le même quartier -, on se connaissait quasiment par coeur. 

Puis nous sommes partis chacun de notre côté, emportés par nos études supérieures. Nous avons gardé contact, grace à internet, et j'avais l'illusion que notre amitié était toujours la même. Il est venu avec sa fiancée à mon mariage. Je suis allé avec ma femme à son mariage.

Il a eu sa première fille, à quelques jours près, en même temps que moi. Quelques mois plus tard, nous allions les voir, et je pensais que ça serait la première rencontre d'une longue série entre sa fille et la mienne.

Puis ma seconde fille est née sans vie. Son épouse prenait de nos nouvelles, assez maladroitement, ce qui nous avait d'ailleurs beaucoup blessés. Ca a duré quelques semaines. Venant de lui-même, silence radio.

Puis ma troisième fille est née sans vie. Silence radio.

Puis mon fils est né. Comme pour ses trois soeurs, nous avons posté, en plus des faire-parts "papier" envoyés à nos familles, une publication facebook pour annoncer sa naissance. Silence radio.

Puis j'ai reçu un message de sa part pour la nouvelle année, laissant transparaître la nouvelle d'une future naissance. J'ai trouvé ce message impersonnel assez maladroit, dans notre situation familiale. Mais j'ai préféré ne pas trop en tenir compte.

J'ai aperçu, dernièrement, sur les réseaux sociaux, que sa seconde fille était née. D'une nature peu rancunière, et un peu dans l'espoir d'une amitié conservée, je lui ai adressé par message privé mes félicitations. Il m'a remercié, et a espéré que de mon côté, tout allait bien. J'ai mis les pieds dans le plat, en répondant que l'arrivée de notre fils nous aidait à nous reconstruire, et que nous essayions d'offrir à notre aînée et à notre fils l'environnement le plus stable possible, soulignant la difficulté de cette tâche. 

Alors, il a évoqué, plutôt indirectement, le décès de nos deux filles, les qualifiant de malheureux évènements, et m'expliquant que s'il ne s'était pas manifesté auprès de nous, c'était parce qu'il était mal à l'aise, et n'avait pas les mots.

Oui, c'est difficile de trouver les mots. J'en suis bien conscient. Oui, ça fout sacrément mal à l'aise. D'un côté, j'ai envie de comprendre. D'un autre coté, j'ai juste envie de dire merde. Ça fait 3 ans, un peu plus, que nous avons perdu notre seconde fille. Pendant 3 ans, pas un mot, pas un message, pas un email, rien du tout. Et si tout le monde avait fait pareil ? Fallait-il attendre de lire dans les journaux qu'un jeune couple avait laissé le gaz allumé, et que les enquêteurs n'éliminaient pas la thèse du suicide ? Quel genre d'amitié nous liait si la mort de mon enfant a laissé un silence gêné de 3 années ? Oui, ce n'est pas facile, mais n'ai-je pas tendu la perche à de multiples reprises, en parlant de mon deuil, de ma souffrance, de ma seconde fille, puis de ma troisième fille, sans tabou, sur les réseaux sociaux ? De nombreux amis, certains que je considérais à tort davantage comme des connaissances que comme des amis, se sont manifestés, sobrement, maladroitement, timidement, parfois un peu tardivement, et ça a atténué un peu (ce qui est déjà considérable !) la solitude qui nous a envahi ce jour là. Je leur en suis tellement reconnaissant.

Mais on peut dire ce qu'on veut, aucun signe de vie pendant 3 ans malgré toutes les mains tendues, ce n'est pas de la timidité, ni de la maladresse. Et surtout, ce n'est pas de l'amitié...

Le deuil périnatal, d'une certaine manière, s'accompagne aussi du deuil de relations que l'on croyait fortes, et qui ne le sont finalement pas tant...

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29 mars 2016

naissances

Cela fait plusieurs jours que l'impatience se fait ressentir. Moralement, c'est fatigant. Les contractions ont commencées il y a trois jours. Mon épouse m'avait dit, les sentant se rapprocher, "on va avoir notre bébé ce soir". Mais non. Hier soir, à nouveau, nous sommes allés à la maternité pour savoir comment ça évoluait, si c'était pour bientôt. La sage-femme nous a refroidit. "C'est du faux travail. Il faut qu'il s'arrête pour que le vrai travail commence véritablement. Ça peut encore durer une semaine."...

Est-ce la baisse de moral qui rend les contractions moins supportables ? Toujours est-il que mon épouse ne les gère plus. Après un nouveau coup de téléphone à la maternité, ils nous disent quand-même de venir. Enfin, il ne nous disent rien du tout, c'est moi qui annonce qu'on y va. J'ai appelé il y a une ou deux heures pour dire que les contractions étaient plus forte, plus rapprochées, mais ils m'ont répondu que ma femme ne souhaitant pas la péridurale, il valait mieux attendre au maximum à la maison. Cette fois, on se met en route. Tant pis, on attendra là-bas.

En voiture, ma femme applique les quelques bases de sophrologie acquises pendant la préparation à l'accouchement. Pendant que je conduis, elle entre dans sa bulle. Les mouvements de la voiture l'aident peut-être à mieux supporter la douleur. Le trajet est assez long, un peu plus d'une demi-heure. Surtout qu'en arrivant au dernier rond-point avant l'hôpital, je prend la mauvaise sortie, et rallonge un peu le trajet. Mon épouse ne s'en rend pas compte, elle est toujours dans sa bulle. Moi, j'ai le coeur qui s'emballe, je n'ai pas de bulle, et de toute façon, il faut que je me concentre sur la route. Pas facile, avec la fatigue.

Nous arrivons enfin sur le parking. En pleine nuit, l'avantage, c'est qu'il y a de la place à proximité de l'entrée. Je gare la voiture, j'ouvre la portière côté passager, et mon épouse me dit d'attendre la contraction suivante avant de l'aider à sortir. La contraction arrive. Je le remarque autant à la douleur visible sur son visage, qu'au bruit de ballon rempli d'eau que les gamins s'amusent à laisser tomber du haut d'un balcon, et qui éclate au sol. La poche des eaux. Au moins, ça ne laisse pas le doute, mais on a du mal à réaliser ce que ça signifie. "Plusieurs jours encore", nous a dit la sage-femme il y a juste quelques heures. Un vigile s'approche, se demandant pourquoi mon épouse reste en voiture. Il a pris la peine d'emmener avec lui un fauteuil roulant. Super. On transporte mon épouse jusqu'à l'ascenceur, puis jusqu'à la salle de monitoring. La sage-femme installe mon épouse sur la table, et dit qu'elle va vérifier le col. Ça contracte. "Arrêtez de pousser, madame". "Je ne peux pas, ça pousse tout seul". "On passe en salle d'accouchement". "J'ai peur". Moi aussi, j'ai peur... A peine installée sur la table de la salle d'accouchement, les choses s'accélèrent. La tête est là. Mon épouse se réjouit de savoir que notre bébé a des cheveux. Elle pousse, posée à quatre pattes sur un ballon. Elle souffre. Je sers sa main. Elle doit avoir davantage mal à la main qu'au périnée, vu comme je la sers, mais c'est incontrôlable. Une des sage-femmes semble s'inquièter, à un moment, du ralentissement du rythme cardiaque de notre enfant. Fausse alerte. C'est le pouls de mon épouse. 

Notre fille naît enfin, les sage-femmes la placent contre mon épouse. "Monsieur, vous voulez couper le cordon ?" On en avait discuté, avec ma femme. Je m'étais dit que je ne comprenais pas trop cette sorte de tradition, que ça ne changerait rien si c'était la sage-femme plutôt que moi qui coupait ce cordon. Du coup, comme si elle croyait que je n'oserais pas refuser, mon épouse prend la parole. "Il n'en a pas forcément envie". "Si si, je veux le couper". C'est ma fille, personne d'autre que moi ne coupera ce cordon. 

La tension retombe, l'appaisement nous gagne, notre fille est posée sur la poitrine de mon épouse, cherchant doucement, tout doucement, de quoi téter et de quoi se remettre de ses émotions. C'est donc ça, devenir parents...

 

*****

 

Le réveil sonne. A quoi bon ? Nous n'avons quasiment pas dormi de la nuit. Je me lève. Les larmes ont étonnement eu le temps de sécher le long de mes joues, ça donne une sensation un peu sèche sur la peau. On met la valise dans la voiture. Et on se met en route. La même route qu'il y a un peu plus d'un an et demi. On nous a dit de nous présenter à 7h à la maternité. On aurait pu y rester hier soir, mais on a préféré rentrer pour la nuit. Notre aînée est chez sa nounou. Nous n'avons pas d'appréhension, pas d'excitation. On veut juste que ça se termine. On arrive sur le parking. Il n'y a pas de "prochaine contraction" à attendre, pas de vigile avec un fauteuil roulant. On arrive dans le service. "On nous a dit de venir ce matin". La sage femme vient nous expliquer comment ça va se passer. Elle met en place le dispositif de déclenchement. Et on attend, dans une chambre de la maternité, entendant parfois au loin pleurer un nouveau-né. Toute la journée. Quelques micro-contractions ont lieu, rien de plus. Toute une journée, enfermés dans cette chambre d'hôpital, à attendre. On nous fait signer des papiers. Je n'aurais jamais cru devoir signer une demande d'autopsie pour mon enfant. Je repère l'emplacement où apposer ma signature, puis mes larmes brouillant ma vue, je pose le stylo sur la feuille sans même voir l'encre dessiner mon gribouillis administratif. 

En début de soirée, quelqu'un dépose un matelas et des draps à côté du lit d'hôpital, pour que je puisse rester avec mon épouse. Toute la nuit, il ne se passe rien. Sauf nos larmes. L'épuisement nous fait sombrer dans des phases de sommeil léger de quelques dizaines de minutes, puis des crises de sanglots nous réveillent. Avec, toujours cette question, "pourquoi ?".

Le lendemain matin, un nouveau dispositif de déclenchement est mis en place. On nous demande si on souhaite le passage de la dame de l'aumonerie. Mon épouse n'est pas croyante, mais moi, je le suis. On décide d'un commun accord de demander ce passage. Puis, à nouveau, les heures passent. Doucement, les contractions un peu plus fortes, un peu plus rapprochées, se mettent en place. Mon épouse ne les supporte rapidement plus, et reçoit des morphiniques. Quand la dame de l'aumonerie arrive, mon épouse est dans un mélange de sophrologie et de morphine, comme droguée. Je discute, autant que je puisse aligner quelques mots, avec cette dame. Elle ne comprend pas comment mon épouse va pouvoir faire naître notre enfant dans son état. Je ne sais pas bien non plus, à vrai dire. On décide de prévoir un petit temps de prière au crématorium de l'hôpital, quand notre enfant sera née.

Ca y est, les choses semblent se préciser. Les contractions sont sérieusement là, le col se dilate un peu. Les sage-femmes proposent que mon épouse prenne un bain pour mieux supporter le travail. Nous acceptons, mais ça n'aide pas des masses. Retour dans la chambre. La dilatation du col se poursuit, nous passons en salle d'accouchement, l'anesthésiste passe poser la péridurale. Elle ne fonctionne que d'un côté. C'est toujours ça... Les poussées arrivent, notre fille naît enfin. Si elle avait pu nous voir, elle aurait vu ses parents effondrés, les yeux rougis, les joues trempées de larmes. L'équipe de la maternité nous laisse passer un long moment avec notre fille. Nos pleurs cessent, notre peine s'atténue, nous admirons notre enfant le temps de quelques dizaines de minutes. Même sans vie, ça reste un moment magique. Nous avons l'illusion, de courts instants, qu'elle peut ouvrir les yeux, qu'elle peut pleurer, bouger, respirer. Mais non. Notre fille est décédée il y a trois ou quatre jours. Nous la rendons aux sage-femmes. Nous la reverrons un peu plus tard, le temps d'une prière avec la dame de l'aumonerie, avant qu'elle ne parte pour l'autopsie dans un autre hôpital...

 

*****

 

Retour en arrière. Le réveil sonne. Nous nous levons sans bruit, pour ne pas réveiller notre fille aînée. Nous prévenons mes beaux-parents que nous partons. Ils ont pu venir rapidement pour garder notre aînée. Même route, même tristesse, avec du désespoir en plus. Nous avions eu la force de créer à nouveau la vie, et cette vie s'est éteinte, elle-aussi, avant que nous puissions voir notre enfant naître. On arrive à la maternité. La méthode de déclenchement diffère, mon épouse doit prendre des comprimés. Nous écoutons les mêmes explications morbides, nous signons avec résignation les mêmes papiers. Encore une demande d'autospie... Nous avons deux mots en tête. L'un chasse l'autre, puis c'est l'inverse. Injustice. Acharnement. On ne comprend pas pourquoi on doit faire face une deuxième fois à cette situation. Dans notre tête, c'est évident : ce qui a emporté notre seconde fille vient d'emporter notre troisième enfant. On ne sait même pas si c'est un garçon ou une fille. 

Le travail se met en place plus rapidement que pour nos deux autres enfants. Une dizaine d'heures, peut-être une douzaine, c'est long, mais c'est mieux qu'un jour et demi. Dans la nuit, le col se dilate, les contractions s'intensifient, la douleur est bien plus grande que pour les deux accouchements précédents. L'absence totale de moral influence peut-être cette impression. Mon épouse tremble à chaque contraction. C'est horrible. Horrible de ne pas pouvoir l'aider, horrible de n'avoir aucun mot qui puisse la soulager. Horrible d'attendre à nouveau, dans la douleur, la naissance sans vie d'un enfant. Nous passons relativement rapidement en salle d'accouchement. Mon épouse est tétanisée par la douleur. Je vois ses doigts se raidir, puis ses mains, puis ses bras... J'ai peur de la perdre, tellement je la vois souffrir. L'anesthésiste arrive. Vu les tremblements et l'état de tétanie de mon épouse, je ne vois pas comment il peut poser une péridurale. Pourtant, par miracle, il y arrive, et ça fonctionne à peu près bien. Mieux que la dernière fois. Je vois enfin mon épouse s'appaiser. Enfin, façon de parler. Il ne faut pas croire que faire naître un petit bébé est moins douloureux que d'en faire naître un plus gros. A force de contractions, d'encouragements de la part des sage-femmes, de poussées, notre troisième enfant né enfin. Une fille, à nouveau. Nous craignons de la regarder, ça fait environ deux semaines qu'elle est décédée. La sage-femme nous l'amène tout de même, en nous préparant doucement à la voir. Elle est belle, autant que ses grandes soeurs. La sage-femme nous explique ce qui a provoqué sa mort. Un triple circulaire. Donc, autre chose que ce qui a fait mourir notre précédente fille. L'injustice est encore plus grande. On lui demande s'il est possible d'anuler la demande d'autopsie, vu qu'on sait la cause du décès. Elle nous apportera plus tard le papier officiel, avec un peu de blanc correcteur sur la case que j'avais cochée. Nous restons à nouveau seuls avec notre troisième fille, pour un nouvel instant magique trop court, suivi d'un nouveau déchirement quand nous laissons l'équipe de la maternité nous reprendre notre enfant. Cette fois-ci, nous ne la reverrons pas pour un temps de prière, vu que je ne crois plus en rien. Nous déciderons juste de la placer nous-même dans son petit cercueil, avant son transport vers le cimetière où elle rejoindra notre autre enfant décédé...

 

*****

 

Le réveil sonne. Mêmes gestes silencieux pour ne pas réveiller notre aînée. Mes beaux-parents, à nouveau, sont venus pour garder notre grande. Nous reprenons le même chemin, direction la maternité, mais avec un mélange d'appréhension, de crainte, d'excitation, et d'impression de forcer la nature. Presque une impression de faire quelque chose de mal.

Nous arrivons à la maternité. L'équipe nous place dans une chambre éloignée de celles que nous avons occupées les fois précédentes. Le dispositif de déclenchement est mis en place. Le même que pour notre seconde fille. Nous savons que ça peut durer longtemps. Nous avons d'ailleurs amené notre ordinateur portable et quelques films. Les contractions arrivent rapidement, mais elles sont faibles et peu régulières. Nous passons la journée à attendre. Un monitoring est régulièrement mis en place, et nous vivons ces nombreuses heures avec le rythme cardiaque de notre enfant dans nos oreilles. En fin d'après-midi, les contractions deviennent franches, et bien plus régulières. Mon épouse parvient à les gérer difficilement, puis commence à perdre pied. Les traitements lui donnent la nausée, la douleur est forte, et aucune position ne l'allège. Nous essayons à nouveau un bain, sans effet. Le col se dilatant peu à peu, dans la nuit, la péridurale devient envisageable. Tant pis pour nos souhaits de naissance naturelle, de toute manière un déclenchement n'a rien de naturel en soit. 

Nous nous installons en salle d'accouchement. La péridurale est posée, et elle est particulièrement efficace et bien dosée. Tant pis pour notre souhait de naissance au naturel, la seule chose qui importe, c'est que notre quatrième enfant puisse enfin naître, et que la douleur des contractions s'achève enfin.Le travail continue, le col se dilate un peu plus, et l'accouchement en lui-même débute. Très rapidement, notre enfant - un garçon, cette fois-ci - naît. Il émet un cri, bouge ses bras, alors que la sage-femme l'attrape. Je coupe, pour la quatrième fois, le cordon ombilical. Notre fils, les yeux entre-ouverts, est posé en peau à peau sur mon épouse. Sans crier. Sans pleurer. Sans bouger. Peu à peu, sa peau se cyanose. Nous sommes en larmes, infiniment ravis de porter enfin notre enfant dans nos bras, et un peu submergés par l'impression que quelque chose d'anormal se passe. La sage-femme pose la main sur le thorax de notre fils, le masse un peu. Elle dit quelques mots, dont je me souviens peu. Du genre "hé, il faut respirer, hein". Puis "on va vous l'emmener". Avec sa collègue, elle nous enlève notre fils inanimé des bras, et part presque en courant. Je reste là, les yeux toujours noyés de larmes, avec mon épouse, pendant d'eternelles minutes. L'attente semble durer des siècles. Au loin, un bébé se met à pleurer. Est-ce le notre, ou celui que nous avons entendu déjà au moment où nous nous sommes installés dans cette salle ? Après de nouvelles si longues minutes, la sage femme apparaît à la porte. Que dit-elle ? Ai-je vraiment envie de l'entendre ? Oui, j'en ai envie. "Votre bébé va bien, vous entendez, c'est lui qui pleure". Ouf. "Monsieur, vous pouvez venir si vous voulez". Je laisse mon épouse seule dans cette salle d'accouchement, pour rejoindre mon fils. Il va bien, il bouge, il respire, il est magnifique. Quelques instants plus tard, le pédiatre arrive, essoufflé. La sage-femme le rassure immédiatement. "Ça va bien, il est reparti". Le pédiatre examine mon fils. Personne ne sait vraiment pourquoi il a arrêté de respirer, mais tout ce qui importe, c'est qu'il va bien. On fini par retourner en salle d'accouchement pour rejoindre mon épouse, et reprendre le peau à peau là où on l'avait interrompu.

 

Nous n'imaginions pas une naissance aussi inquiétante, aussi angoissante. Nous espérions "renouer" avec l'insouciance qui devrait imprégner toute naissance. Loupé. Nous garderons nos angoisses, nos appréhensions. Nous avons la sensation que, cette fois-ci, notre famille est enfin au complet. Quatre naissances, en quatre ans et quatre mois. Deux enfants avec nous, bien vivants. Deux enfants décédés. Une sorte d'équilibre est établi. Nous n'avons pas une famille "classique", mais nous avons une famille, et c'est là le plus important. Nous pouvons, enfin, recommencer à vivre un peu plus sereinement...

20 février 2016

La place du père

C'est un peu comme des poupées russes. Un tabou, dans le tabou.

Quelle est la place du père dans le deuil périnatal ? Ou, peut-être, quelle place se fait le père dans le deuil périnatal ? Peut-être même, quelle place laisse la mère au père dans le deuil périnatal ?

Le deuil périnatal est un sujet tabou. Il ne faut pas en parler. Mais lorsque l'on se retrouve uniquement entre personnes touchées par ce sujet, on se permet de parler plus librement. Oui, mais. D'une certaine manière, alors que la quasi totalité des mamans ayant perdu leur bébé se plaint du manque de considération vis à vis de leur deuil, il y a de leur part un manque de considération envers le deuil vécu par le père. Avec, de la bouche même de mamans personnellement meurtries par le deuil périnatal, le refus catégorique de considérer que le père est également confronté au même deuil, peut-être d'une manière différente, mais dans tous les cas, ni moins douloureusement, ni moins intensément. C'est infiniment dommage, et je pense que ça peut être, malheureusement, le début d'un éloignement entre la maman et le papa. Le dialogue dans le couple permet d'avancer ensemble. Le manque de dialogue doit probablement faire avancer chacun des parents individuellement, dans une épreuve qui isole déjà brutalement le couple de la société.

Je me suis rendu compte de tout ça très dernièrement. Comme beaucoup d'autres parents ayant perdu la perte d'un bébé, j'ai ressenti le besoin de partager. Notamment via ce blog, mais aussi via des discussions par mail avec d'autres mamans et papas, et puis un peu via des groupes Facebook consacrés au deuil périnatal. Lors de ma présentation sur ces groupes, les membres - majoritairement féminins - ont accueilli avec enthousiasme la présence d'un papa, suffisamment rare pour être remarquée. J'ai donné, à de rares reprises, quelques opinions sur quelques histoires, dans le but d'aider un peu les personnes livrant leurs témoignages tous plus douloureux les uns que les autres. J'ai livré moi aussi l'histoire de ma famille. Et puis il y a eu un message recopié, d'une sage-femme s'intéressant dans un étude au ressenti des mamans lors de la naissance sans vie de leur enfant. Ce message comportait à de multiples reprises le mot "mamans", mais ne comportait pas une seule fois le mot "papas", ou même "parents". Alors, j'ai répondu. J'ai juste dit que la prise en charge pourrait déjà être améliorée en intégrant le papa au deuil périnatal. La maman qui gère ce groupe, et qui avait recopié le message de la sage-femme, a répondu que c'était normal que l'étude soit faite sur les mamans, parce que ce sont elles qui accouchent, et que le père ne vivra jamais ça (je n'ai pas les termes exacts employés, mais ça ressemblait beaucoup à ça). En réponse à ce message, j'ai essayé d'expliquer que le père n'en vivait pas moins une naissance, qu'il ne fallait pas être trop réducteur quant à son rôle, et que dans mon cas, l'accompagnement de l'équipe de la maternité à la fois vis à vis de mon épouse et de moi-même avait été particulièrement bien mené ; j'en retenais donc les avantages, et trouvais dommage qu'on puisse exclure le ressenti du père de la sorte. Je n'ai pas eu l'occasion de lire la suite de la discussion. Je n'ai plus eu accès, brutalement, aux discussions de ce groupe privé. Point, barre. J'imagine probablement à juste titre avoir été supprimé de ce groupe. 

En soit, ce n'est pas bien grave. Cette maman ne m'a pas "viré" de son groupe par méchanceté, elle avait probablement ses raisons de le faire. J'ai peut-être heurté des mamans en voulait exposer mon point de vue de père. Je n'ai pas voulu, loin de là, minimiser la souffrance de la mère. J'ai juste refusé qu'on minimise celle du père. 

Mais apparemment, au sein du tabou qu'est le deuil périnatal, il y a un tabou encore plus fort, encore plus profondément ancré : c'est celui de la souffrance du père.

Faut-il donc préserver l'image du père fort, qui ne ressent rien, qui continue à avancer, sans même parler de la perte de son enfant, sans jamais laisser paraître ses sentiments, sans jamais laisser couler ses larmes ? Pourtant, bizarrement, les mamans présentes sur ces groupes de discussions décrivent assez souvent ce type de comportement chez leurs conjoints respectifs, et s'en plaignent... 

Ne serait-ce pas plus sain, malgré l'immensité de la douleur de la maman, de laisser un peu de place pour que la douleur du papa puisse également s'exprimer ? Ne serait-ce pas plus sain, de la part du papa, d'oublier un peu la place que la société voudrait imposer au père, et de laisser s'exprimer sa peine ? Ne serait-ce pas plus sain, tout simplement, de vivre le deuil périnatal en couple ? C'est après tout l'unité du couple qui avait, à la base, donné la vie à un enfant... Si nous-mêmes, parents endeuillés, frappés par l'isolement dans lequel nous renvoie la société, nous isolons de nos conjoints en minimisant leur deuil, comment pouvons-nous reprocher à cette même société de nous isoler ?...

14 février 2016

Un simple exercice

Je me demande souvent comment vont grandir notre aînée et notre fils, comment ils vont intégrer leurs deux sœurs décédées à leurs vies, à leurs personnalités. Pour notre fils, c'est difficile de se faire une idée. Mais en ce qui concerne notre aînée, il y a des petites choses qui montrent combien le passage de ses petites sœurs a marqué sa perception de ce qui l'entoure... Avant chaque période de vacances scolaires, nous récupérons ses cahiers, et pouvons parcourir les exercices réalisés en classe. Cet exercice-là consistait à découper des images, et à les coller dans deux colonnes. À gauche, ce qui est vivant. À droite, ce qui ne l'est pas. Notre fille a collé consciencieusement un ourson blanc à gauche. Une voiture, à droite. Un arbre et une fleur, à gauche. Une table, une fourchette, une botte, à droite. Un bébé, à droite. Que s'est-il passé dans sa tête à ce moment-là ? Est-ce une simple erreur d'attention ? A-t-elle pris cette image pour celle d'une poupée ? Ou, dans son esprit, un bébé est tout simplement plus souvent mort que vivant ?
23 janvier 2016

Heureusement

Depuis la naissance de notre fils, nous n'évoquons pas nos filles décédées devant notre aînée. Nous redoutons de compliquer les choses, et nous voulons laisser sa place à l'émerveillement, à la petite étincelle de fierté qui brille dans ses yeux lorsqu'elle assume pleinement son rôle de grande soeur. Nous lui avons juste glissé, rapidement, qu'elle était déjà grande soeur avant, même si ce n'était pas tout à fait pareil.

A part ça, nous ne lui avons pas demandé si elle voulait aller au cimetière (il faut dire aussi que nous avons nous-même peu de temps pour y aller... et j'effectue expressément des détours pour pouvoir m'y arrêter), et nous la laissons au maximum vivre dans son insouciance d'enfant.

Mais a-t-elle toujours cette insouciance ? N'a-t-elle pas perdu, comme nous, un peu de la naïveté qui améliore subtilement la vie de tous les jours ?

Hier matin, nous étions dans le canapé, elle était à côté de moi, la main posée sur son petit frère, lui même endormi sur mes genoux. Et, tout simplement, en nommant ses deux soeurs, elle m'a dit "Heureusement qu'il n'est pas mort, comme petite soeur 1 et petite soeur 2".

Oui, heureusement... 

16 janvier 2016

Superpositions

Voilà maintenant un peu plus de trois semaines que notre fils est né. Les nuits sont difficiles, la fatigue s'accumule, mais on sait malheureusement trop bien qu'on n'a pas le droit de se plaindre. Ces nuits soit trop courtes, soit quasiment inexistantes, on aurait tant eu besoin de les vivre pour nos seconde et troisième filles... On a certes eu des nuits sans sommeil, de la fatigue, mais ce n'était pas lié à des pleurs de bébés, c'était juste lié à leur absence... On assume donc ces nuits difficiles, même si on "joue" avec nos limites, et que, moralement, c'est parfois bien compliqué. Mais on y arrivera, parce que notre fils est là, et que ces nuits sans repos ont une raison d'être.

Nous craignions que l'attachement à cet enfant ne soit pas évident. Il l'est pourtant, même si de nombreux comportements sont "automatisés", et que ses pleurs ne nous tordent pas les trippes comme c'était le cas pour les pleurs de notre aînée. Soit parce que l'appréhension du premier enfant a disparue, soit parce que dans une certaines mesure, ces pleurs nous rassurent et nous rappellent que si notre enfant pleure, c'est qu'il est bien là, avec nous, bien vivant. Peut-être que c'est un peu des deux. Mais l'attachement est là, et nous lui pardonnons nos heures de sommeil perdues sans même y penser.

Lors de ses premiers jours, je me suis fait la remarque de son absence de ressemblance à ses soeurs, et notamment à sa soeur aînée. Et puis, petit à petit, certaines photos dans des contextes similaires à ceux de photos de notre aînée nous ont marquées. Nous avons ressortis les photos d'il y a 4 ans, et nous avons été abasourdis devant la ressemblance entre eux. A ce stade, ce n'est même plus de la ressemblance. Sans la qualité des photos, moindre il y a 4 ans, sans les vêtements, nous serions presque incapable de distinguer notre aînée de notre fils. C'est vraiment impressionnant. Je me suis même amusé à faire quelques montages avec des photos similaires côte à côte. Nous pourrions les superposer, tellement la ressemblance est forte.

Et puis, il y a d'autres superpositions, qui n'ont pas besoin qu'on ressorte d'anciennes photos. Il y a ces moments où, le posant nu sur la table à langer avant le bain, le voyant endormi, sans un mouvement, les bras détendus le long de son corps, les jambes positionnées comme on les a posées, les images de notre seconde fille se superposent à lui. Il y a ces moments où, endormi dans son parc, dans un coin un peu plus sombre de la pièce, son teint paraît beaucoup plus foncé, se rapprochant de celui de notre troisième fille décédée plus tôt dans la grossesse ; et, de loin, en voyant son profil apaisé dépasser de la turbulette et de sa petite couverture, je me surprend à voir ma troisième fille. Ces superpositions n'ont pas le même effet. Elles sont comme un électrochoc. Elles font resurgir notre détresse, notre douleur, et toute l'angoisse que nous avons vécue au cours de cette grossesse. 

Il n'y a rien de malsain, quand on y pense, à comparer notre fils avec chacune de ses 3 soeurs. Du moins, car on ne voit pas nos enfants décédées vivre à travers notre fils. Il n'y a pas du tout d'idée de remplacement dans ces superpositions. C'est plutôt l'inverse, même, qui se produit. Parce que, si nous ne voyons pas nos enfants décédées vivre à travers notre fils, nous voyons, l'espace d'une demi seconde, lorsque les images de nos seconde et troisième fille surgissent et se superposent à la vision de notre fils, l'absence de vie qui aurait pu, cette fois encore, gagner notre enfant. Alors, notre coeur accélère, notre respiration s'arrête, notre regard se fixe sur son thorax, sur ses lèvres, sur ses narines, et nous restons là, attendant le moindre petit mouvement. Et, quand il est trop bien couvert pour qu'on puisse détecter un mouvement, notre main se pose sur lui, sur son visage, sur une de ses mains, et, dans son sommeil, il fronce les sourcils, ou il serre ses doigts sur notre main. Alors, et seulement alors, le coeur battant encore un peu vite, nous retournons à nos activités interrompues...

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pas tout à fait papa
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