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pas tout à fait papa
20 mai 2014

idée reçue

L'un des problèmes des idées reçues, c'est qu'elles sont reçues... Contrairement aux idées réfléchies. Un autre problème des idées reçues, c'est que tout le monde en a, sans forcément s'en rendre compte. Vous, vos voisins, moi... Et j'en ai véhiculé un paquet, d'idées reçues, sans m'en rendre compte... Sans me rendre compte que certaines sont vraiment débiles et déplacées, et qu'en réflechissant un peu, on se rend vite compte qu'on a loupé une bonne occasion de se taire...

Il y a quelques années, avant que ma femme et moi ayons notre premier enfant, une proche m'a parlé un peu par hasard d'une connaissance à elle, dont le bébé était décédé in utéro, et m'a expliqué que les médecins l'avaient fait accoucher par  voie basse. "tu te rends compte, déjà ton bébé est mort, et en plus tu dois subir l'accouchement... c'est vraiment inhumain". Et bêtement, sans me poser davantage de question, j'ai "reçu" cette idée, et je me suis dit que faire accoucher une femme d'un enfant décédé in utéro, c'était cruel et inhumain...

Et puis, bien plus tard, un médecin a dit, à ma femme et à moi, "la grossesse s'est arrêtée. il va falloir déclencher l'accouchement". L'évidence était là : ma femme allait accoucher de notre enfant décédée. Sur le moment, sous le choc, nous avons accepté tout ce que nous indiquait l'équipe de la maternité. Incapables de réflechir, la fatalité nous tombait dessus. Et puis, en attendant le déclenchement, puis pendant le travail, et surtout après la naissance de notre fille, on a repensé à tout ça. Ce qui serait cruel, ce qui serait inhumain, et en plus ce qui serait médicalement inapproprié, ça serait justement de ne pas faire naitre l'enfant par voie basse. 

 

D'un point de vue purement médical, ça serait une erreur, une prise de risque pour la maman. Cet enfant, au moment où le diagnostic tombe, on ne sait pas de quoi il est décédé. Ca pourrait être, par exemple, d'une infection. Et faire naitre l'enfant par césarienne, c'est potentiellement faire prendre un risque de péritonite ou de septicémie à la maman. 

Et quand bien même, ça correspondrait à quoi ? "votre enfant est décédé, on ouvre, on enlève, on oublie" ? Une femme qui doit accoucher par césarienne a souvent à faire le deuil de la naissance qu'elle avait voulu pour son enfant. Donc, au deuil de notre enfant décédé, on devrait ajouter le deuil de la naissance ? Une grossesse, ça commence par la conception, et ça se termine par la naissance. Chaque étape est nécessaire. Sans la naissance par voie basse, la grossesse n'est pas tout à fait terminée, il manque la fin (j'ai plusieurs amies qui ont très mal vécu la naissance de leur enfant par césarienne). Après la perte d'un enfant in utéro, il est souvent (et c'est notre cas) extrêmement difficile de se projeter dans une nouvelle grossesse. Comment se projeter dans une nouvelle grossesse si la précédente ne s'est pas terminée ? 

Au moment où l'on apprend le décès de notre enfant in utéro, on ne l'a encore jamais rencontré autrement qu'à travers les echographies. On a bien-sûr senti ses bras et ses pieds à travers le ventre de la maman, mais on ne l'a pas vu, là, devant nous, dans nos bras. Nous avons redouté pendant les 30h de déclenchement la rencontre avec notre fille. Est-ce que ça ne sera pas trop difficile ? Va-t-on faire autre chose que pleurer ? Va-t-on subir ou vivre cet instant ? Tout est déjà tellement compliqué... On n'imagine pas que ça puisse se faire par césarienne. On ne veut pas que cet instant soit trop médicalisé. On veut de l'intimité, on ne veut pas de protocoles opératoires, on ne veut pas de médecin qui suture, qui demande tel ou tel accessoire à l'équipe médicale présente autour de nous. C'est notre instant, c'est à nous, c'est la naissance de notre enfant décédé. Même s'il est décédé avant de naître, même si les étapes de sa vie ne se déroulent pas dans le bon ordre, notre enfant, il a besoin de naitre. Et cette naissance, comme tout parent, on la souhaite par voie basse. Pas par césarienne.

Et demain ? Cette cicatrice, au bas du ventre de la maman, qui rappellera à chaque instant l' "echec", le décès de notre enfant, sa naissance brutale, le jour où les médecins l'ont arraché au ventre de sa mère, c'est humain ? N'est ce pas là la plus grande cruauté qu'on puisse imaginer ? En plus de la plaie qu'on portera en nous toute notre vie, faut-il ajouter une cicatrice physique sur le ventre de la maman ?

Les idées reçues ont la vie dure... J'espère, à l'avenir, quand j'entendrai quelqu'un s'offusquer de la naissance par voie basse d'un enfant décédé in utéro, avoir la force d'expliquer, calmement, sans juger, que cette naissance, c'est la plus belle chose qu'on puisse offrir à l'enfant décédé, et que ça représente les meilleures fondations possibles pour que les parents puissent, avec tant de temps et de peine, se reconstruire. Mais je ne suis pas sûr d'y parvenir...

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  • Je suis un papa qui souhaite, dans l'anonymat, parler du deuil de mes deux enfants nés sans vie. Si vous voulez partager certains de mes articles ou l'adresse du blog, je vous demande de me prévenir et d'attendre mon accord, afin de préserver cet anonymat
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