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pas tout à fait papa
13 octobre 2014

nostalgie

Hier soir, comme il n'y avait pas grand chose à la télé, j'avais l'ordinateur portable sur les genoux. Il n'y a pas grand chose non plus sur l'ordinateur, mais au moins, je navigue seul, je ne reste pas inactif devant un écran. Alors, donc, j'ai l'ordinateur sur les genoux. Je lance mon navigateur internet, je jette un coup d'oeil aux quelques blogs que je visite régulièrement, je jette un coup d'oeil à mes mails... Puis, forcement, comme une bonne partie de la population, au fil de mes divagations, je clique sur l'onglet "facebook". Depuis la date à laquelle nous avons appris le décès de notre 3ème fille, je n'y poste plus grand chose. Un petit mot pour annoncer la mauvaise nouvelle (étant un peu isolé géographiquement, je communique pas mal avec ma famille et mes amis via facebook, en faisant particulièrement attention à n'y "accepter" que ma famille et mes amis, avec lesquels j'ai un réel intérêt à communiquer). Un petit mot pour signaler la journée internationale de sensibilisation au deuil périnatal. C'est tout. Mais j'essaie de suivre un peu l'actu de mes contacts. Donc, je traîne sur facebook, sans avoir grand chose à y chercher...

Je clique, sans réelle motivation, sur le nom de mon épouse, pour voir sa page. Pour voir, un peu, si de nouveaux commentaires de soutien ont été publiés sur son annonce du décès de notre fille. Mais non, rien de neuf. 3 semaines, c'est long. Les gens sont passés à autre chose. Ou alors, ils n'osent pas trop "en remettre une couche". Ou bien ils ne savent pas comment s'y prendre. On le comprend un peu. 

Je remonte un peu plus loin dans le passé. On n'avait pas annoncé sur facebook qu'on attendait un 3ème enfant, mais je retrouve vite des repères. Il y a beaucoup de photos de notre fille aînée, quelques photos de nous trois. Là, on ne savait pas encore, mais elle était déjà partie. On a le sourire, pourtant. C'est un peu culpabilisant de voir ces sourires sur nos visages. Le calme avant la tempête. Bien heureux sont les ignorants. Je fais défiler la page ; là, elle était encore en vie. Elle bougeait pas mal, ma femme commençait à la sentir. C'est peut être ces jours-là qu'elle s'est passé le cordon par trois fois autour du cou. Ma fille aînée rigole sur ces photos, elle était si heureuse à l'idée d'avoir un petit frère ou une petite soeur. On était heureux, nous aussi, de la voir si heureuse. Heureux de son voir son insouciance, sa confiance en l'avenir. Nous avons perdu à la fois cette insouciance et cette confiance, mais ça nous faisait du bien de la redécouvrir, un peu par procuration, dans les yeux de notre grande.

Je glisse les doigts sur le petit carré tactile de l'ordinateur, et je remonte un peu plus dans le passé. Encore des sourires, quelques sorties au grand air, le parc d'attraction pour les 3ans de notre fille aînée, les vacances à la mer... Je nous vois sourire, je nous vois nous amuser. On a donc été heureux, après le décès de notre seconde fille. J'avais oublié. Ce n'est pas le même bonheur qu'avant, c'est un bonheur plus réservé, plus pudique. Plus prudent, peut-être. Mais des images me reviennent à la vue de ces photos, et de ces quelques mots postés çà et là sur le réseau social. Nous avions appris à vivre avec le deuil de notre seconde fille. Ça aussi, c'est culpabilisant. Avait-on le droit d'être heureux, comme le laissent penser ces photos ?... 

Je regarde les dates des publications. C'est la date anniversaire de la naissance de notre seconde fille. Nous étions allés au parc zoologique. Nous voulions faire une sortie en famille, nous voulions que cette journée ne soit pas maussade. Ça a été à moitié réussi, pas facile de fêter une naissance sans avoir en tête, sans cesse, que cette naissance était sans vie. Une image me revient : j'étais sur le carrousel du zoo, avec ma fille aînée, la tenant pour qu'elle ne tombe pas de son cheval. Elle était heureuse. Et moi, je regardais mon épouse, assise sur un banc, proche du manège, le regard perdu. Isolée dans ses pensées. En tête à tête avec notre seconde fille. C'était une belle journée, mais une journée difficile à vivre.

Je continue à remonter le temps. Petit à petit, les publications se raréfient. Se noircissent, aussi. Le décès de notre vieille chienne atteinte d'un cancer généralisé. Notre vieille chienne, qui à ses débuts avait joué le rôle d'une agence de rencontre, entre mon épouse et moi. Sans cette chienne, nous nous serions croisés sans nous rencontrer vraiment. On lui doit notre mariage, notre fille aînée, et toute la joie qui s'en est suivie ; on lui doit aussi nos deux filles décédées. Parfois, je me dis que sans elle, mon épouse et moi aurions menés une autre vie, l'un sans l'autre ; nous aurions peut-être eu chacun de notre côté d'autres enfants. Aurais-je aimé mon hypothétique compagne autant que j'aime mon épouse aujourd'hui ? Aurais-je eu la force, avec quelqu'un d'autre, de surmonter des épreuves si difficiles ? Mon épouse, son amour pour moi, mon amour pour elle, et notre amour pour notre fille aînée, sont la clé de cette force insoupçonnée qui nous permet d'avancer tant bien que mal. Je ne suis pas certain que j'aurais pu faire tout ce chemin avec une autre femme. Notre vieille chienne, éteinte depuis environ 10 mois, a cimenté les fondations de mon couple. C'est grâce à elle que nous survivons aujourd'hui. On lui doit décidément bien des choses...

Un peu plus loin, une histoire sur le Père-Noël qui apporte des petits cadeaux aux enfants partis trop tôt. C'est un petit conte de Noël que ma femme avait trouvé sur internet, l'an dernier. Noël 2013. Le premier Noël lors duquel il manquerait un tas de cadeau sous le sapins. Pour Noël 2014, il manquera deux tas de cadeaux. Je me souviens de cette période des fêtes de fin d'année. La froideur de l'hiver faisait ton sur ton avec le froid que nous ressentions en nous. Ça a été une période bien difficile. Ça sera pire cette année...

Sans m'en rendre vraiment compte, je poursuis ma visite du passé. Quelques liens vers des chansons évoquant la perte d'un enfant. Nous avons beaucoup pleuré en écoutant ces chansons. Quelques photos, pour rassurer nos famille, de notre fille aînée qui souris. Une ballade avec les deux chiennes, notre aînée qui joue dans la neige, notre aînée qui arrose le jardin, notre aînée avec ses grand-parents... On aurait aimé mettre des photos de notre seconde fille... Il n'y en avait que pour notre aînée, malgré nous... 

Je m'arrête sur le petit mot qu'on avait publié, lors de la naissance de notre seconde fille. On avait beaucoup hésité à diffuser la nouvelle sur ce site. On s'était finalement dit que c'était une manière un peu plus facile d'informer les proches que nous ne pouvions pas contacter individuellement. Nous n'en avions de toute façon pas la force. 

Et je me suis plongé dans l' "avant". Quand nous avions une vie normale. Quand ma fille éclatait de rire en embrassant le ventre arrondi de mon épouse. Sur ces photos, nos sourires sont naïfs. Ils sont réels et sincères. Nous avons été parfaitement heureux. Nos petits problèmes du quotidien, qui nous semblaient pourtant importants à l'époque, étaient tellement dérisoires. Les premiers pas de notre fille, ses sourires, quelques photos dans le bain. Nous ne connaîtrons pas tout ça pour ses deux petites soeurs. Je remonte plus rapidement le passé. Sa naissance à la maternité, la photo de ma femme, notre bébé dans ses bras, les yeux entrouverts après une tétée. Les photos de nos sorties dans les sites touristiques des alentours, ma femme et son ventre énorme, moi, et notre impatience de voir arrivée notre enfant. Ces sorties, nous n'oserions jamais les refaire aujourd'hui, à des dates si proches du terme. Des photos de la grossesse, de la chambre d'enfant que nous aménagions, l'annonce de la grossesse de mon épouse. Notre voyage de noces. Notre mariage. Il était tombé une petite averse pendant la messe, il parait que c'est un bon présage... Les WE en famille, nos chiens et nos chats, notre bonheur... Et toujours, sur ces photos, nos regards insouciants, nos regards pleins de vie. Toujours, une lueur dans nos yeux. Nos yeux, qui brillaient. Nous ne pouvions pas imaginer un seul instant qu'ils verseraient tant de larmes par la suite...

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Commentaires
H
Je relis ce soir mon commentaire et corrige une grossière erreur: je voulais bien sûr écrire "arborer ce sourire..."
H
Comme je vous comprends... J'ai perdu mon petit Augustin le 5 octobre dernier...<br /> <br /> Cela fera 4 semaines demain et la peine est toujours aussi vive... <br /> <br /> En regardant les photos des vacances de cet été, moi aussi je me dis que jamais plus je ne pourrais aborder ce sourire qui m'allait si bien...<br /> <br /> En ce jour de Toussaint, je pense tendrement à vos deux filles au ciel...
pas tout à fait papa
  • Je suis un papa qui souhaite, dans l'anonymat, parler du deuil de mes deux enfants nés sans vie. Si vous voulez partager certains de mes articles ou l'adresse du blog, je vous demande de me prévenir et d'attendre mon accord, afin de préserver cet anonymat
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