c'est pas façile, pour eux
Avec le temps, les mots viennent plus facilement. En tout cas, les larmes viennent moins vite, et du coup, elles laissent leur place aux mots.
Avec le temps, je parle avec plus de facilité de mes deux filles décédées, et de l'histoire de notre famille. Ça n'empêche pas les larmes de tenter de se faire leur place, parfois, mais elles laissent le temps de changer de sujet, et la pression peut retomber.
Du coup, notamment avec mes collègues de travail, j'évoque plus facilement les maladresses auxquelles on est confronté. Et les personnes à qui je parle des mots qui blessent, des indélicatesses, de toutes ces choses qui apparaissent comme une double peine après la perte d'un enfant, ont souvent la même réponse.
"tu sais, ce n'est pas facile, pour eux".
Je sais, mais je ne peux pas forcément leur pardonner ces phrases si douloureuses à entendre.
Je sais, mais j'ai envie de crier, du plus profond de moi-même, ce que n'est pas eux qui ont perdu un enfant. Alors, c'est pour qui, finalement, que c'est moins facile ?
Je sais, mais je ne comprends pas pourquoi c'est à mon épouse et à moi-même d'être indulgents avec notre entourage pour leurs maladresses, alors qu'on a déjà tant de mal à accepter ce que nous traversons.
Je sais, mais j'ai envie de répondre que si c'est difficile de trouver les mots, il peut suffire, parfois, d'être silencieux, et que le silence vaut mieux que n'importe quelle phrase "toute faite".
Je sais, mais je n'en suis pas responsable ; et mon épouse, ma fille aînée et moi sommes les premières victimes (et encore... les premières véritables victimes sont nos filles décédées...) de ce qui leur est "pas facile", et pour cette raison, on a juste besoin d'un peu de délicatesse et de bon sens.
Je sais, mais j'ai juste envie de dire que je ne sais pas, que je m'en fiche, que j'ai juste envie de ne plus souffrir de l'absence de mes filles nées sans vie, que je ne veux pas de compassion, et encore moins de pitié, juste de la décence.
Je sais. Mais je sais aussi que ceux qui ne sont pas passé par là où nous passons, ceux-là ne savent pas la souffrance que nous endurons à chaque instant. Et je ne leur demande pas de savoir, car pour savoir, il faut passer par là, et je ne peux pas leur souhaiter une telle souffrance. Je leur demande juste de ne pas amplifier notre douleur et l'injustice que nous vivons. Et par leurs phrases indélicates, finalement, ils ne font que ça.
Mais ils ne le savent pas...