congé maternité

J'avais envie, depuis quelques temps, d'évoquer les histoires de congé maternité suite à la naissance sans vie d'un enfant. Je ne savais pas trop comment l'amener. Je remercie infiniment la Sécu de m'avoir inspiré...

Mon épouse leur demandait, dernièrement, les dates précises de son congé, et a dû leur envoyer un certificat d'enfant sans vie né viable pour notre seconde fille (décédée début avril 2013, à 8 mois de grossesse, et pesant 2.7kg, ce qui est largement au delà des critères de viabilité - soit-dit en passant complètement crétins - admis par la S, et qui figure sur les documents qu'on leur avait envoyés à l'époque). Je vous passe le "bonjour docteur, il me faudrait un certificat, mais pas pour l'enfant que je viens de perdre, pour celui d'avant, c'est la Sécu qui me le demande"... Elle a reçu de la part de la Sécu la réponse suivante : 

"Bonjour,

En réponse à votre demande du 01.12.2014, je vous informe que nous avons
bien réceptionné le certificat médical. Nous avons donc allongé la durée
de votre congé maternité.

Les dates de votre congé maternité vont du xx.xx.xxxx au xx.xx.xxxx.

Je vous rappelle que, depuis votre compte, sur www.ameli.fr, vous pouvez
accéder à un espace prévention qui vous est réservé et qui saura vous
guider tout au long de votre grossesse.

Avec toute notre attention,

C***** M******"

Mon épouse a été ravie, vous en conviendrez, de se sentir si bien guidée tout au long de sa grossesse. Elle leur a envoyé une petite réponse de courtoisie, leur rappelant qu'ils avaient reçu il y a bientôt 3 mois un extrait d'acte d'enfant sans vie...

Bref, je ne vois pas pourquoi on en fait tout un foin, on demandait les dates de congé mat', on les a eues... (Je ne vois pas pourquoi j'ai fait tout un foin, d'ailleurs, pour cette histoire de livret de paternité, ça partait d'une bonne intention...) (vous sentez, vous aussi ? ouai, c'est l'odeur de l'ironie...)

Donc, oui, vu que c'est le but de ce billet, mon épouse a droit à un congé maternité. De 6 mois, au total. Comme pour un troisième enfant. Une amie a été surprise en l'apprenant, et spontanément, a dit "ah bon ? ce n'est pas normal". Je ne lui reproche pas du tout sa réaction, j'aurais d'ailleurs probablement eu une réaction semblable il y a quelques années. Je la remercie plutôt de nous avoir fait cette remarque. Je la remercie, parce que c'est la seule qui a osé nous la faire, et je suis persuadé que beaucoup ont eu ces pensées, sans les partager. Du moins, sans les partager avec nous. Alors, on a pu lui expliquer, et elle s'est rendu compte assez vite (parce qu'en fait, c'est à la fois normal et logique) de son erreur d'interprétation. Mais à tous les autres qui auront pensé que ce n'est pas normal, nous n'avons pas eu l'occasion d'expliquer les choses. Ils seront repartis de leur côté, avec leurs a priori, en pensant probablement que mon épouse profite de manière illégitime de 6 mois de vacances aux frais de la Sécu.

Et bien non, ce n'est pas illégitime. A quoi sert un congé maternité ? En partie, à s'occuper de l'enfant. Les premiers mois sont difficiles. Certaines mamans allaitent, et ce n'est pas compatible avec la reprise du boulot. Les nuits sont courtes, et les journées fatigantes. Donc, en partie, un congé maternité permet de s'occuper de l'enfant. Mais ce n'est pas tout. Parce que si ce n'était que ça, alors, pourquoi le congé serait plus long pour un troisième enfant ? Ce troisième enfant, il ne tête pas davantage que ses aînés. Statistiquement et en moyenne, il n'y a aucune raison pour qu'il impose un rythme plus difficile à ses parents les premiers mois. Clairement, j'ai beau y réfléchir, rien ne justifierait, si un congé maternité servait uniquement à s'occuper du nouveau-né, que sa durée soit plus longue à partir du troisième enfant. Il n'y a donc pas que ça. Si ce n'est pas pour l'enfant, c'est donc pour quelqu'un d'autre. Et si c'était pour la maman ? Je suis bien mal placé pour m'étendre sur le sujet, mais il est quand même largement admis qu'un accouchement est une épreuve pour la mère. Ce n'est pas une visite de courtoisie à la maternité. Il n'y a d'ailleurs pas que l'accouchement qui est une épreuve, il y a la grossesse, tout simplement, qui fatigue énormément l'organisme de la mère. De tout ça, il faut récupéré. Et de grossesse en grossesse,  l'organisme accuse un peu plus le coup à chaque fois. Donc, la maman subit une période de récupération un peu plus longue à chaque fois. C'est probablement pour ça que la durée du congé maternité est augmentée à partir du troisième enfant. 

Voilà donc ce qui justifie que mon épouse soit en congé maternité. Certes, nous n'avons pas de nouveau-né à nourrir, nous n'avons pas de nuits difficiles à gérer avec les couches à changer et les berceuses à chanter à 3h du matin. Certes, nous n'avons pas à sortir un bébé de sa sieste pour bien l'emmitouffler avant de courir récupérer notre aînée à l'école, en ayant eu à peine le temps de réchauffer un plat préparé la veille pour que l'aînée puisse prendre son repas au retour de l'école. Et croyez-moi, nous le regrettons infiniment. Mais mon épouse, malgré le fait que nous n'ayons qu'un enfant à la maison, a été trois fois enceinte. Mon épouse a accouché trois fois. Et ayant assisté à la naissance de mes trois filles, si notre troisième était toute petite et que l'expulsion a été rapide, je crois pouvoir affirmer que cet accouchement était de loin le plus éprouvant et le plus douloureux que mon épouse a vécu. Elle a eu peu de fatigue physique ressentie, mais la fatigue morale, elle la ressent toujours autant, voire davantage, aujourd'hui. Les déséquilibres endocrinaux post-partum (saleté de thyroïde...), elle les subit de manière bien plus importante que précédemment. A ce titre là, elle ne profite de personne en prenant ce congé maternité. 

Allons un peu plus loin. Il y a une raison supplémentaire qui rend légitime ce congé maternité. Cette raison, elle est morale. Nous avons été parents une troisième fois. Hors, tout ce qui nous rappelle que nous avons bien eu trois filles, c'est une petite tombe avec deux prénoms gravés dessus. La société préfère ignorer la naissance sans vie de nos filles. Il n'y a qu'à voir les courriers administratifs qu'on reçoit. L'administration fait "comme si". Tout ce qui nous est autorisé, c'est de faire inscrire un prénom (et en théorie, sans nom de famille) sur notre livret de famille, et un congé maternité "comme si" tout s'était bien passé. 

Les autres femmes doivent se reconstruire physiquement après leur accouchement. La mienne, elle doit à la fois se reconstruire à la fois physiquement et psychologiquement. Alors, d'une part, laissez nous le temps pour ça, et laissez nous le peu de choses qui nous rappellent que oui, nous avons été parents une troisième fois.

Nous ne profitons de rien. Nous prenons ce à quoi nous avons droit, et légitimement droit.

Comments

[Tannabelle]

Comme toujours, vos billets sont pertinents, vos mots sont justes, vos combats sont légitimes parce qu'ils sont le reflet de ce que c'est que de perdre un ou plusieurs enfants avant que la société ne leur ait octroyé le droit d'exister...



Mais je m'interroge (et même avant votre billet, en réalité) sur ce congé maternité, auquel on attribue, en plus de la vertu de participer à la reconstruction physique de la maman, le mérite de lui donner du temps pour commencer à se reconstruire psychologiquement. Pourquoi alors le papa n'a-t-il pas droit aussi à un congé pour prendre le temps d'essayer d'aller mieux ou moins mal ? C'est injuste...

[Jen et sa tribu]

Très bien parlé !!

En ce qui me concerne, je n'ai pas eu droit à mon congé maternité pour la naissance de ma fille au prétexte que j'étais au chômage. Je n'ai pas eu la force de me battre sur le moment (j'avais tout de même précisé à mes interlocuteurs que je réclamais ce congé pour une raison purement symbolique et pas du tout financière...) mais j'ai vraiment ressenti ça comme une injustice (et je passe tous les fameux courriers et courriels comme les vôtres!).

Alors maintenant que j'ai un peu plus mes esprits, depuis quelques temps je pense à faire reconnaître a posteriori mon congé maternité car comme vous dites, il s'agit d'une grossesse, d'un accouchement et en effet, des plus éprouvants. Vos sages paroles auront eu raison de moi !!!

Je vous envoie toutes mes pensées, à vous et vos filles.