"Félicitations"
Malgré tout, la vie continue.
Malgré tout, des proches attendent des bébés.
Malgré tout, des proches nous annoncent des naissances.
Malgré tout, nous envoyons à ces proches des petites cartes bleues ou roses en fonction du sexe (on a beau essayer de ne pas tomber dans le cliché du code couleur, allez trouver une carte jaune ou verte...), et des cadeaux pour leurs bébés.
Et donc, je me retrouve de temps en temps devant ces présentoirs à cartes d'anniversaire, de naissance, de décès, de retraite, de permis de conduire... Et je dois choisir la carte qui me parle le plus, pour l'envoyer à des proches plus ou moins intimes, plus ou moins conscients de notre histoire.
La plupart de ces cartes affichent, en caractères joyeux et colorés, toujours le même mot. "Félicitations". Suivi de plus ou moins de points d'exclamation. Plus rarement, un simple "Bienvenue à bébé" est inscrit. Et c'est souvent vers ces dernières que j'oriente mon choix. Le terme "félicitations" me gêne.
"Félicitations" pour quoi ? Pour avoir eu un bébé vivant ? Nous n'avons pas reçu, pour nos deux derniers bébés, de félicitations. Pourtant, avons-nous moins mérité que les parents d'un nouveau-né vivant ? Mon épouse a-t-elle moins réussi à supporter la douleur de l'accouchement ? Avons-nous raté quelque chose, pour ne pas recevoir ces félicitations ? Mais finalement, quelles félicitations y a-t-il à recevoir pour avoir mis au monde un enfant en bonne santé ? Tout est lié au hasard. Un problème de placenta, de cordon, de chromosomes, de "mauvais gènes", est totalement indépendant de toute la bonne volonté des parents. C'est une loterie, dont les gagnants ont un bébé en bonne santé, et dont les perdants ont un bébé malade, ou mort. Le hasard, quand il fait bien les choses, doit-il s'accompagner de félicitations ? Dans mon esprit, on félicite quelqu'un qui a du mérite. Avoir un bébé en bonne santé n'accorde pas de mérite particulier aux parents. Avoir un bébé malade ou décédé, sauf en cas d'exposition volontaire et délibérée à des facteurs de risque (alcool, tabac, viande peu cuite...), n'est pas la conséquence d'une quelconque faute des parents.
Et finalement, en remontant le temps de quelques mois, pourquoi félicite-t-on les futurs parents ? "Vous attendez un enfant ? Félicitations !". Félicitations ? Pour quoi ? Pour avoir pris la décision d'avoir un enfant ? Pour avoir fait coïncider une ovulation avec un rapport sexuel ? Pour avoir uriné sur une bandelette qui a viré de couleur ? Et que fait-on de tous ces couples qui, malgré une volonté inégalée d'avoir un enfant, ne parviennent pas à concevoir ? Que fait-on de ces couples qui font chaque mois mille et un calculs pour optimiser leurs chances, sans résultat ? Que fait-on de ces couples qui ont un budget "test de grossesse" illimité ? Que fait-on de ces couples qui connaissent les galères de la médicalisation, les traitements hormonaux, les prélèvements d'ovocytes, les FIVs, les examens à perte de vue, gâchant le romantisme et la simplicité qui devraient être à l'origine de toute grossesse ? Ceux-là, qui ont davantage de courage et de persévérance qu'une immense majorité de futurs parents, ne méritent-ils pas de félicitations ? Pourquoi, encore une fois, adresser des félicitations pour ce qui tient exclusivement du hasard ?
Avant de réfléchir à tout ça, j'ai adressé ces mêmes félicitations que je dénonce aujourd'hui, j'ai envoyé ces mêmes cartes de félicitations. Mais je choisi dorénavant des cartes de bienvenue. Même si j'imagine que les jeunes parents ignorent probablement tout de ce qui motive mon choix, et ne remarquent d'ailleurs certainement même pas cette subtilité.
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