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pas tout à fait papa
16 avril 2015

Course à pied

Je ne suis pas particulièrement sportif. Je courais, un peu, de temps en temps, quand mon planning professionnel et la météo me le permettaient. Genre, 3 ou 4 km de temps en temps. De temps en temps, c'est maxi une fois par mois. Ou tous les deux mois. Pas de quoi entretenir son endurance... 

Il y a 2 ans, quelques jours après l'enterrement de notre seconde fille, pour me changer les idées, j'ai décidé un matin d'aller courir un peu. Sans d'avantage de prétention que les autres fois. 

C'était un matin. Ça faisait plusieurs mois que je n'étais pas retourné courir. Mon épouse et notre aînée dormaient encore. Je me tournais et me retournais dans le lit, sans savoir me rendormir... Alors je me suis levé doucement, j'ai attrapé un short de sport, un t-shirt, j'ai descendu les escaliers le plus silencieusement possible, et je suis sorti pour courir. 

D'habitude, mon "circuit" de course à pied était le suivant : environ un kilomètre en direction du village, puis je prenais à gauche, je parcourais encore un kilomètre avant de prendre à nouveau à gauche, et de rejoindre la maison. Au total, 3 ou 4 km. Plus proche de 3 que de 4, à vrai dire. D'habitude, après cette petite boucle, en courant à mon rythme, sans forcer, j'arrivais à la maison en crachant mes poumons. Pas particulièrement sportif, je vous disais.

Ce matin-là, arrivé à la première intersection, je me suis dit "tiens, en continuant tout droit, tu arrives au village et tu peux même aller jusqu'au cimetière". J'avais une petite idée de la distance. Au total, 4 ou 5 km. Plus proche de 5 que de 4. Juste pour l'aller. Donc, aller-retour, près de 10km. 3 fois plus que ma petite boucle. J'ai eu envie d'y aller. Pour ma fille qui était là-bas, au cimetière. Pour qu'elle puisse être fière de son papa. J'ai eu envie de relever ce défi. Juste pour voir. Sans savoir si j'aurais la capacité de revenir. Au pire, j'avais le téléphone dans la poche, et je pourrais appeler mon épouse en disant, à bout de souffle "viens me chercher, j'en peux plus". 

J'ai passé l'intersection, en continuant tout droit. J'ai continuer à courir, entre les prairies peuplées de vaches qui semblaient se demander pour quelle étrange raison je courais, comme ça, au milieu de nulle-part. J'ai passé le petit bois, au delà duquel on commence à apercevoir le cimetière sur la colline voisine, de l'autre côté du village. Après ce petit bois, la route descend franchement. Ces quelques centaines de mètres ne me fatigueraient pas beaucoup. Du moins pas dans ce sens-là. Puis j'ai tourné à droite, toujours en direction du village. Avant d'y arriver, j'ai à nouveau pris à droite, pour entamer la dernière ligne droite. C'est fou comme l'appréhension des distances change, quand ce sont nos jambes plutôt que la voiture qui nous transportent. Pendant toute cette course, qui dépassait déjà la longueur de ma petite boucle habituelle, j'ai pensé à ma fille décédée. J'ai couru pour elle. Je suis arrivé en bas de la colline, et dans un dernier effort, j'ai monté la pente qui mène au portail du cimetière. Arrivé au portail, j'ai interrompu ma course, pour marcher jusqu'à la tombe de ma fille.

Je me suis assis par terre, j'ai pleuré un peu. J'ai pensé quelque chose du genre "je t'avais dis que j'y arriverais, t'as vu, j'y suis arrivé". J'ai pensé qu'elle devait être fière de son papa. J'ai pensé que c'était une chance de pouvoir aller de la maison au cimetière sans véhicule. J'ai pensé que si on devait déménager, ça deviendrait impossible de le faire, et ça serait une vraie perte. Je suis resté quelques minutes, là, assis, devant cette dalle de caveau couverte de fleurs. 

Et puis je me suis relevé, je suis sorti du cimetière, je me suis inquiété pour mon épouse et pour ma fille aînée, qui se demandaient peut-être où j'étais passé. J'ai recommencé à courir, toujours sans savoir si j'aurais la force de revenir à la maison. Je n'avais plus rien à prouver à ma seconde fille. J'ai couru sans penser. En laissant couler par moment quelques larmes, encore. Je suis arrivé à la route qui descendait beaucoup à l'aller, et je l'ai montée avec peine. J'ai traversé le bois, j'essayais de compter les kilomètres qu'il me restait à parcourir. Je suis repassé entre les prairies dans lesquelles les vaches m'ont lancé les mêmes regards d'incompréhension. J'ai continuer, jusqu'à atteindre la maison. Ca faisait environ une heure que j'étais parti. J'avais du mal à réaliser que j'avais triplé mes performances d'un coup, comme ça. Je crachais mes poumons, il faut l'avouer, un peu plus encore qu'après ma petite boucle habituelle.

Mon épouse venait juste de se lever. Elle ne s'inquiétait pas particulièrement.

Par la suite, je suis souvent allé courir jusqu'au cimetière. C'est devenu mon parcours "habituel". J'ai un peu perdu l'habitude. Je ne suis plus allé courir depuis la naissance sans vie de notre troisième enfant.

Il faudrait que j'y retourne... 

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  • Je suis un papa qui souhaite, dans l'anonymat, parler du deuil de mes deux enfants nés sans vie. Si vous voulez partager certains de mes articles ou l'adresse du blog, je vous demande de me prévenir et d'attendre mon accord, afin de préserver cet anonymat
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