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pas tout à fait papa
6 mai 2015

Parenthèse

Ça s'est passé il y a quelques jours. J'étais au travail, vers la fin de la journée, une journée chargée mais pas trop, ce qu'il faut pour bien s'occuper, sans penser à soi. Assez chargée pour regarder l'heure de temps en temps, en sachant qu'un peu de retard ne se rattrapera pas. Une journée comme je les apprécie. La course, mais pas trop. Tout se goupillait bien. Le rendez-vous suivant semblait même ne pas devoir prendre trop de temps. C'est une jeune femme qui s'est présentée. J'avais dû la recevoir une ou deux fois, pas assez pour la "connaître", pas assez pour des familiarités, encore moins pour des confidences. Nous avons discuté du motif de son rendez-vous, rien d'extraordinaire. Jusqu'au moment où, alors que rien ne s'y prête vraiment, elle a évoqué sa grossesse débutante. J'ai été surpris de cette évocation. Dans ses propos, je devinais qu'elle n'avait pas encore passé le cap des 3 mois, ce fameux cap qui, une fois atteint, rend "légitime" d'évoquer sa grossesse. Ce fameux cap qui, avant d'être atteint, impose la prudence de ne pas en parler. Qu'on le veuille ou non, même si mon histoire fait que je trouve ce cap désuet de sens, notre société nous marque l'esprit avec cette histoire de trois mois. J'ai donc été surpris, et dérangé, par cette évocation. A la fois parce qu'elle ne respectait pas cette histoire de cap, mais aussi et surtout parce qu'elle me ramenait à la perte de deux de mes trois filles, qui pourtant avaient largement passé ce cap. Ma réaction a été "protectrice". J'ai dévié, plus ou moins consciemment, la conversation vers d'autres choses moins difficiles à évoquer pour moi. Je pensais que ce petit "dérapage" en resterait là. Alors que ce rendez-vous touchait à sa fin, j'ai dû moi-même évoquer à nouveau sa grossesse, en apportant un conseil sur une contre-indication d'une pratique (que je recommandais à l'issue du rendez-vous) pour les femmes enceintes. "Laissez faire votre conjoint, ou portez des gants, parce que ça pourrait présenter un risque, même faible, pour votre bébé." J'étais bien loin de m'attendre à sa réponse. Elle a accepté mes conseils. En apportant une précision. "Surtout que cette grossesse est précieuse". Alors j'ai ouvert une parenthèse dans ma journée de boulot. J'ai saisi cette perche tendue. Elle m'a expliqué avoir perdu son enfant précédent, quelques mois auparavant, suite à une IMG. J'ai approuvé sa souffrance, la douleur de son accouchement, la solitude de son couple, le statut de deuxième enfant du bébé qu'elle attendait. Je lui ai raconté un peu de l'histoire de mes filles. On s'est raconté les maladresses de ceux qui ne sont pas passés par là. On a parlé du soutien psychologique qu'on recevait, elle m'a donné le nom de sa psy. Je lui ai donné des infos sur les blogs, les forums, les associations, le bateau de Voiles des Anges, la marche lyonnaise du 15 octobre... Puis je l'ai raccompagnée vers la porte de sortie, je lui ai souhaité le courage et la force de vivre avec le moins d'angoisse possible sa grossesse. J'ai refermé la porte, en même temps que la parenthèse dans cette longue journée de travail. Et je me demande aujourd'hui ce qui l'a amenée à me parler de sa grossesse. A-t-elle senti que je serais réceptif ? Avait-elle besoin d'en parler, au risque de ne pas être écoutée ? D'en parler à un homme, d'autant plus ? Est-ce le statut de ma profession, du domaine du médical, qui l'a rendue confiante au point d'évoquer une douleur si intime ? Ou alors, en parle-t-elle naturellement avec autant de simplicité ? Je ne sais pas. Moi-même, je ne parle pas de mon deuil à mon propre médecin. J'arrive tout juste, après deux ans, à en parler sans larmes à mes amis. Mais cette parenthèse m'a fait du bien. J'ai apprécié de parler un peu de mes filles. J'ai apprécié d'apporter à cette jeune femme une écoute et de la compréhension. J'ai apprécié de me sentir moins anormal, en rencontrant quelqu'un portant la même anormalité que moi. Et j'espère qu'elle a apprécié autant que moi cette trop courte conversation.
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  • Je suis un papa qui souhaite, dans l'anonymat, parler du deuil de mes deux enfants nés sans vie. Si vous voulez partager certains de mes articles ou l'adresse du blog, je vous demande de me prévenir et d'attendre mon accord, afin de préserver cet anonymat
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